Horus se tailla donc un bateau de sapin et l'enduisit de
plâtre, puis le lança à l'eau au crépuscule, sans que personne
l'eût vu dans tout le pays. Seth vit le bateau d'Horus et
se dit que c'était de la pierre.
Il alla jusqu'à la montagne, y trancha un pic, puis s'y
tailla un bateau de pierre de cent trente-huit coudées de
long.
Ils descendirent dans leurs bateaux devant l'Ennéade, et
celui de Seth coula au fond de l'eau. Alors Seth se changea
en hippopotame et fit couler le bateau d'Horus. Horus saisit
son harpon et le lança dans le corps de Seth.
Mais l'Ennéade le supplia :
"Ne le lance pas contre lui !"
Il rassembla donc ses armes aquatiques, les déposa dans
son bateau et descendit le courant jusqu'à Saïs, pour demander
à Neïth la Grande, la mère du dieu :
"Fais que je sois départagé d'avec Seth : voici quatre-vingts
ans aujourd'hui que nous sommes au tribunal, et personne
ne peut nous départager.
D'ailleurs, son bon droit ne peut être établi contre moi,
tandis que cela fait un millier de fois que, chaque jour,
j'ai été proclamé juste contre lui. Mais il ne prend en
considération rien de ce que dit l'Ennéade. Si je plaide
contre lui dans la salle Voie de la justice, c'est contre
lui qu'on me donne raison !
Si je plaide contre lui dans la salle d'Horus Khenty Abou,
c'est contre lui qu'on me donne raison ! Si je plaide contre
lui dans la salle Champs des souchets, c'est contre lui
qu'on me donne raison ! Si je plaide contre lui dans la
salle Bassin de la campagne, c'est contre lui qu'on me donne
raison ! Et l'Ennéade a dit à Chou, fils de Rê :
'La vérité éclate dans tout ce qu'il a dit, Horus, le fils
d'Isis'."
Thot dit alors au Seigneur de l'univers :
"Fais envoyer une lettre à Osiris, de sorte qu'il départage
les deux jeunes gens !"
Et Chou fils de Ra eut cette appréciation :
"C'est un million de fois juste, ce que vient de dire Thot
à l'Ennéade."
Le Seigneur de l'univers dit par conséquent à Thot :
"Assieds-toi, et écris une lettre à Osiris, que nous entendions
ce qu'il va dire.
Thot s'assit pour écrire à Osiris une lettre rédigée en
ces termes :
"Le taureau 'Lion qui chasse pour lui-même', le nebty 'Qui
protège les dieux et subjugue le Double-Pays', l'Horus d'or
'Qui a inventé les humains lors de la Première Fois', le
roi de Haute et Basse-Egypte 'Taureau au sein d'Héliopolis',
le fils de Ptah 'Utile pour les Deux Rives, Qui est apparu
comme père de son Ennéade, Qui se nourrit d'or et de toutes
sortes de bijoux magnifiques'. Veuille nous faire dire ce
que nous devons faire pour Horus et Seth, que nous ne prenions
pas une décision entachée d'ignorance."
A quelque temps de là, la lettre parvint au roi, fils de
Rê "Dont l'abondance est grande, Seigneur des provisions."
Il poussa un grand cri lorsqu'elle lui eut été lue, puis
envoya en toute hâte cette réponse à l'endroit où se trouvaient
le Seigneur de l'univers et l'Ennéade :
"Pourquoi fait-on du mal à mon fils Horus, alors que c'est
moi qui ai fait de vous des êtres puissants ? Et que c'est
moi qui ai créé l'orge et le blé pour faire vivre les dieux
; ainsi que le bétail qui suit les dieux, alors qu'aucun
dieu ni aucune déesse n'avait découvert comment le faire
?"
La lettre d'Osiris arriva là où se trouvait Ra-Horakhty,
siégeant avec l'Ennéade sur la Butte blanche à Xoïs. On
la lut devant lui et devant l'Ennéade, et Ra-Horakhty dit
:
"Envoie immédiatement pour moi à Osiris une réponse, et
dis-lui, à propos de cette lettre : Si tu n'étais pas advenu,
si tu n'avais pas été mis au monde, l'orge et le blé existeraient-il
bel et bien."
Cette réponse du Seigneur de l'univers parvint à Osiris
et elle lui fut lue. Il fit donc écrire de nouveau à Ra-Horakhty
:
"Tout ce que tu as fait est plus que parfait, toi qui as
inventé l'Ennéade, tandis que c'est à l'intérieur de la
Touat qu'on permet que la justice sombre ! Contemple donc
la situation, toi aussi. Le pays où je me trouve est peuplé
d'anges au visage terrifiant, qui n'ont peur d'aucun dieu
ni d'aucune déesse, et, quand je les fais sortir, ils vont
chercher le cœur de tous ceux qui commettent de mauvaises
actions, et ceux-ci se retrouvent ici avec moi.
Pourquoi donc me suis-je retrouvé ici, installé dans l'Occident,
alors que vous êtes dehors tous jusqu'au dernier ? Qui parmi
eux est plus puissant que moi ? Vois ! Ils ont inventé le
mensonge ! Lorsque Ptah le Grand, qui est au sud de son
mur, seigneur d'Ankhtaouy, eut fait le ciel, n'a-t-il pas
dit aux étoiles qui le peuplent :
'Chaque nuit, c'est dans l'Occident, le lieu où se trouve
le roi Osiris, que vous devez vous coucher. Et après les
dieux, les notables et les gens du peuple se retrouveront
tous au lieu où tu te trouves'? Voilà ce qu'il m'a dit."
De nombreux jours plus tard, la lettre d'Osiris parvint
à l'endroit où se trouvait le Seigneur de l'univers, en
compagnie de l'Ennéade. Thot reçut la lettre et la lut devan
Rê-Horakhty et L'Ennéade. Et tous clamèrent :
"La vérité, la vérité est dans tout qu'a dit 'Grand d'abondance,
seigneur des provisions'! "
Mais Seth demanda :
"Qu'on nous emmène à l'Ile du Milieu, que je plaide contre
lui."
Il alla donc à l'Ile du Milieu et on proclama Horus juste
contre lui.
Alors Atoum, seigneur du Double-Pays, l'Héliopolitain, fit
dire à Isis :
"Amène Seth, menottes aux mains !"
Isis amena donc Seth, menottes aux mains, tel un prisonnier.
Et Atoum lui demanda :
'Pourquoi ne nous permets-tu pas de vous départager, si
tu veux t'adjuger la fonction d'Horus ?
Seth lui répondit :
"Non ! Mon bon seigneur. Fais appeler Horus fils d'Isis,
et qu'on lui donne la fonction de son père Osiris."
On alla donc chercher Horus fils d'Isis. On lui plaça couronne
blanche sur la tête et on l'intronisa à la place de son
père Osiris, lui disant ; "Tu es le roi parfait de Ta-Méri
! Tu es le seigneur accompli de tout pays, pour toujours
et à jamais !"
Alors, Isis poussa un grand cri vers son fils Horus :
"Tu es le roi parfait ! Mon esprit est en joie, car tu as
illuminé la terre de ton éclat !"
Puis Ptah le Grand, qui est au sud de son mur, seigneur
d'Arikhtaouy, demanda :
"Que va-t-on faire de Seth ? Car en effet c'est à la place
de son père Osiris qu'Horus est placé."
Ra-Horakhty répondit :
"Qu'on me confie Seth fils de Nout. Il siégera avec moi,
tel mon fils; il tonnera dans le ciel et on aura peur de
lui."
Alors, on alla dire à Ra-Horakhty :
"Horus fils d'Isis est maintenant souverain"
Et Ra se réjouit très grandement, disant à l'Ennéade :
"Criez de joie ! Criez de joie, courbés jusqu'à terre pour
Horus fils d'Isis !"
Isis conclut :
"Horus est maintenant souverain. L'Ennéade est en fête et
le ciel est en joie. Tous ont saisi des guirlandes depuis
qu'ils ont vu Horus fils d'Isis grand souverain d'Egypte.
Les dieux de l'Ennéade sont intimement satisfaits, et le
pays entier est en liesse, depuis que tous ont vu qu'à Horus
fils d'Isis a été transmise la fonction de son père Osiris,
seigneur de Djédou !"
(Fin de la version du Papyrus Chester Beatty)
On dit que Ra accorda alors les villes de Pe et de Nekhen
à Horus afin de le dédommager des offenses de Seth. Horus
demanda à Ra d'envoyer dans ces dernières ses fils pour
calmer les tumultes dues aux luttes contre Seth et pour
que le pays puisse prospérer. A Pe, Ra plaça Amset et Hapy
et à Nekhen Duamoutef et Quebehsenouf. Ces derniers forment
les "Âmes" et sont assignés à Horus pour toute l'éternité.
Horus a aussi reçu de Ra le nom d'Hor hery ouadjef, ce qui
signifie "Horus leur chef".
Seth eut la vallée du Nil entre Memphis et la première cataracte
; Horus reçut le delta. (La version d'Edfou dit l'inverse).
D'autres disent qu'Horus reçut l'Egypte entière, tandis
que Seth était relégué dans la Nubie, le pays rouge, et
le désert de l'Ouest, cela expliquerait pourquoi les habitants
de ces contrées ont toujours été les ennemis des Egyptiens.
On trouve aussi un texte (dans l'antichambre de la pyramide
de Pépi 1er) où Seth et Horus réconciliés s'unissent charnellement
pour assurer la prospérité du royaume d'Egypte.
Et Plutarque raconte ceci : "Quant
au plus jeune Horus, qui est l'Horus déterminé,
défini et parfait, il ne détruisit pas entièrement
Seth, mais il lui enleva sa force et son activité.
C'est pour cela, disent-ils, qu'à Coptos la statue
d'Horus tient dans une de ses mains le membre viril de Seth.
Leurs fables racontent aussi que Thot, ayant ôté
à Seth ses nerfs, en fit des cordes pour la lyre.
C'est une manière d'enseigner, que quand la raison
organisa l'Univers elle y établit l'harmonie, la
faisant succéder aux discordances. Elle n'anéantit
pas le principe destructif, mais elle se contenta de le
contrebalancer."
Cependant, sur les murs du temple Ptolémaïque
d'Edfou, les Egyptiens ont écrit une autre fin pour
cette histoire : Les armées d'Horus et de Seth (celui-ci
ayant pris la forme d'un hippopotame rouge) se sont affrontées
à Eléphantine pendant une tempète.
Pendant la bataille, Horus a tué Seth avec son harpon.
Et pour finir, Isis a donné les os de Seth en pâture
aux chats et sa graisse aux vers.