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Guillaume Tell :                                                                            

 

 

Tout le monde connait la légende suisse de Guillaume Tell :
Hermann (ou Heinrich) Gessler, un bailli à la solde des Habsbourg, avait fait ériger un poteau sur la place du village d'Altdorf, chef-lieu du pays d'Uri, et y avait accroché son chapeau. Tous les habitants étaient obligés de saluer ce couvre-chef en passant, sous peine de mort. Un certain Guillaume Tell, ayant désobéi à cet ordre, fut alors condamné à tirer à l'arbalète sur une pomme placée sur la tête de son propre fils. Tell parvint à toucher la cible mais il avoua ensuite, sous la pression, avoir caché une seconde flèche sous ses vêtements pour tuer le bailli Gessler au cas où son fils aurait été touché. Ensuite, les versions divergent sur le sort de Guillaume Tell et de son ennemi le bailli. La majorité racontent cependant que Guillaume Tell aurait échappé à Gessler et aurait ensuite tué ce dernier avec son arbalète dans une embuscade sur la Hohle Gasse ("Chemin creux") dans le canton de Schwytz.

On peut se demander cependant si cette histoire décrit un fait historique (plus ou moins déformé) ou s'il s'agit d'une pure fiction, un "mythe fondateur" inventé de toutes pièces par les Suisses.

Si on recherche les textes anciens parlant des exploits de Guillaume Tell, que trouve-t-on ?

Le "Livre blanc de Sarnen" (écrit par Hans Schriber vers 1470) est le plus ancien manuscrit suisse qui évoque l'histoire d'un homme surnommé "le Thall" :
"Un jour, il se passa que Gessler arriva, fit dresser une perche sous, le tilleul d'Uri et placer un chapeau dessus. Il mit à côté un valet en faction et donna ordre de publier un commandement, savoir que quiconque passerait devrait s'incliner devant le chapeau comme si le seigneur était là. Celui qui ne le ferait pas serait sévèrement puni, aussi le valet devait faire bonne garde. Maintenant, il y avait un honnête homme appelé le 'Thall' (Tell), qui avait aussi prêté serment à Staupacher et à ses compagnons. Il passa souvent devant la perche sans s'incliner. Aussi le valet le dénonça. Le seigneur fit venir Tell et lui demanda pourquoi il était désobéissant. Tell dit : 'Je l'ai fait par mégarde, car je ne savais pas que votre grâce y attachât tant d'importance. Si j'étais prudent, je ne serais pas appelé le Tell.' Maintenant Tell était bon archer et avait de jolis enfants. Le seigneur le força à tirer une pomme sur la tête d'un de ses enfants. Comme Tell vit qu'il y était forcé, il prit une flèche et la mit dans son collet. Il prit une autre flèche dans sa main, tendit l'arc, pria Dieu de garder son enfant et atteignit la pomme qui tomba de la tête. Alors le seigneur lui demanda quelle intention il avait eue en mettant une autre flèche dans son collet. Tell aurait bien voulu détourner de là ses pensées, mais le seigneur ne le lâcha pas et voulant savoir absolument, il lui dit : 'Confesse la vérité et je t'assurerai la vie'. Alors Tell dit : 'Puisque vous m'avez assuré la vie, je vous dirai la vérité : si le coup avait manqué et que j'eusse atteint mon enfant, j'aurais tiré l'autre flèche sur vous ou l'un des vôtres'. Le seigneur répond : 'Il est vrai que je t'ai assuré la vie, mais je te mettrai à un endroit où tu ne verras ni la lune ni le soleil ' et il le fit saisir. Les valets l'emmenèrent dans un bateau, mirent ses instruments de tir avec lui à l'arrière du bateau et partirent sur le lac jusque vers l'Axen. Alors s'éleva un vent si terrible, que le seigneur et sa suite pensèrent se noyer. L'un d'eux dit : 'Seigneur, vous voyez bien où nous en-sommes. Faites détacher Tell ; c'est .un homme vigoureux qui sait bien conduire un bateau; ordonnez-lui de nous aider à nous sauver'. Alors le seigneur dit à Tell : 'Si tu veux faire ton possible, je te détacherai pour que tu puisses nous sauver tous'. Tell répondit : 'Seigneur, très volontiers'. Il se mit aux rames et commença à manoeuvrer. Cependant, à chaque moment, il regardait du côté de ses armes, car le seigneur le laissait libre. Lorsqu'il arriva près de la Tellenplatte, il leur dit à tous de ramer vigoureusement; que s'ils arrivaient devant la Platte, ils auraient fini toutes leurs peines. Ils ramèrent vigoureusement et lorsqu'il lui sembla être assez près de la Platte, il prit ses armes, s'élança hors du bateau sur la Platte, repoussa le bateau et le fit danser sur le lac, courut à travers les montagnes aussi vite que possible, par Schwytz, du côté ombragé des montagnes jusqu'à Kùssnacht, dans le chemin creux. Il y était avant le seigneur et l'y attendait. Lorsqu'ils y passèrent à cheval, il se tenait derrière un buisson, tendit son arc et tira une flèche sur le seigneur, puis s'en retourna à Uri par les montagnes."
(http://www.e-codices.unifr.ch/fr/staow/A02CHR0003/447)

A peine moins tardif (vers 1477), on trouve le chant "Tellenlied" (vers 1477). Dans celui-ci, par contre, le meurtre de Gessler n'est pas mentionné mais il est raconté que Tell serait mort noyé.

Ensuite on trouve la chronique de Melchior Russ (vers 1482). Ici rien n'est dit à propos d'un chapeau placé sur une perche que Tell n'aurait pas salué :
"... Comme il advint aussi à Tell, qui fut forcé par les baillis d'abattre d'un coup de flèche une pomme placée sur la tête de son propre enfant, faute de quoi il eût dû mourir lui-même..."
Il est à nouveau raconté que Tell tua le gouverneur Gessler avec une flèche, mais ce dernier se trouvait encore dans le bateau ayant transporté Tell prisonnier.

Puis vient la chronique "Kronika von der loblichen Eydtgnoschaft" de Petermann Etterlin (en 1507) qui est le premier texte imprimé parlant de Tell. On y apprend que son prénom était Wilhelm (Guillaume).

Il y a ensuite le livre "Chronicon Helveticum", écrit vers 1570 par l'historien Aegidius Tschudi (1505-1572). Celui-ci essaie de donner à l'histoire de Guillaume Tell une apparence historique plausible et place les événements en l'année 1307.

Cependant en 1760 Uriel Freudenberger publie, à la grande indignation des Suisses, un texte révélant que l'histoire de Tell était une "fable danoise", un emprunt aux légendes scandinaves (Heinrich Pantaleon avait déjà fait une semblable observation en 1565).

Effectivement, on peut se rendre compte que de nombreuses sagas scandinaves contiennent des récits ressemblant curieusement à l'histoire de Guillaume Tell. Et ces récits sont bien plus anciens que ceux existant en Suisse...

Ainsi, au Holstein, dans le sud du Danemark, on racontait l'histoire de Henning Wulf (Henning von Wulfen), de Wewelsfleth in Holstein qui s'était opposé au roi Christian Ier de Danemark vers 1472. On prétendait que ce roi le forca à tirer sur une pomme placée sur la tête de son fils. Henning avait cependant gardé une 2ème flèche entre ses dents, pour se venger du roi dans le cas où son fils aurait été touché.

Dans le chapitre 128 de la saga islandaise "Thidreksaga", datant du XIIIème siècle ("Vilkinasaga" dans sa version suédoise), le roi Nidung ordonne à Egil l'archer (Eigill / Agilaz), frêre de Wayland Smith (Weyland / Wieland / Volundr / Völund / Velent / Vulcain), de tirer sur une pomme placée sur la tête de son fils :
"Un jour le roi Nidung, à qui l'on avait plusieurs fois vanté l'adresse d'Egil, voulut s'en assurer. Il fit venir le fils d'Egil, un garçon de trois ans, fit mettre une pomme sur sa tête, et ordonna au célèbre archer d'y viser de manière à ce que le trait ne volât ni trop haut, ni trop bas, ni à côté du but, mais qu'il traversât la pomme. Le roi ne lui défendit pas de frapper son ls, sachant qu'il éviterait, si possible, de le blesser. Egil ne devait lancer qu'une seule fléche, néanmoins il en prit trois, les garnit de plumes, en appuya une sur la corde de l'arc et perca la pomme, de façon que la éche en enleva une moitié et que le reste tomba à terre. Ce coup d'adresse s'est conservé dans la mémoire du peuple. L'auteur fut surnommé Œlrunar-Egil , ou Egil l'habile archer. Le roi Nidung lui demanda pourquoi il avait pris deux èches Une suffisant pour le coup qu'il devait tirer. 'Seigneur, répondit Egil, je vous dirai la vérité : cette èche vous était destinée. si j'avais blessé mon ls.' Le roi ne s'offensa point de cette réponse. Tous les assistanls jugérent qu'Egil avait parlé en homme de coeur."

Il y a aussi la saga norvégienne "Orkneyinga" (datant de vers 1200) qui raconte les exploits de Heming Áslákson (appelé "Hemingur"ou "Geyti Aslaksson" aux Feroes). On y raconte que le roi de Norvège Harald III (1046-1066) forca Heming (un champion archer nageur et skieur) à tirer sur une noisette placée sur la tête de Björn, son jeune frère :
"Harald Haardraade, roi de Norvége (1047-1066), alla visiter Aslak, riche paysan de I'ile de Torg, laquelle fait partie du groupe d'iles de Halogaland (Helgoland), et lia connaissance avec Heming, lo de l'opulent insulaire. Aslak, qui se méait de son hôte, entreprit de l'éloigner. II s’avanca et dit que le vaisseau du roi élait prét à faire voile. Le prince lui répondit qu'il avait l'intention de passer la journée dans l'ile; puis il gagna la forét, pour y dispuler à Heming l'honneur de la victoire au tir à l'arbalète. Mais,bien que Harald fût un habile amber, il ne put égaler son rival. Pour venger ses affronts, il Iui ordonna, sous peine de la vie, d’abattre d'un coup de èche une noisette posée sur la tête de son frére Biörn. D'abord Heming refusa d’obéir à un ordre si barbare; mais enn, cédant aux invitations de son frêre, il pria le roi de se placer à coté de Biorn, afin de s’assurer de la réussite du coup. Harald y plaça Odd Ofeigön, et se tint auprès de Heming. Celui-ci, ayant fait le signe de Ia croix, et appelé la vengeance du ciel sur l'oppresseur, pour le cas où il aurait fait couler le sang innocent, décoche le trait et enleva la noisette posée sur la tête de Biörn."
Dans la version des îles Feroés, toutefois, Heming utilise une lance à la place d'un arc. La compétition se continua, ensuite, avec une épreuve de natation... et, bien plus tard, cependant, Heming se vengera du roi en le tuant lors de la bataille de Stamford Bridge.

Dans la "Gesta Danorum 10.7.1-10.7.3" de Saxo Grammaticus (vers 1150-1215), on retrouve une histoire semblable se passant au Danemark, en Fionie, en 965. On y voit le roi de Norvège Harald à la dent bleue (958- 986) forcer Palnatoke (Palnatoki / Palnir le toqué / Toke / Toki / Toko) à tirer sur une pomme placée sur la tête de son fils skiant en bas d'une colline :
"Un certain Toko, depuis quelques temps, était le garde du corps du roi Harold. Sa bravoure l'avait rendu odieux à beaucoup de ses compagnons d'armes à cause du zèle avec lequel il les dépassait dans l'accomplissement de son devoir. Cet homme, une fois, s'était vanté qu'il était si habile archer qu'il pourrait toucher du premier coup une petite pomme placée au loin, au bout d'une baguette. Ces paroles, retenues dans un premier temps par les oreilles des médisants, ne tardèrent pas à être rapportées au roi. La méchanceté du roi le poussa alors à transformer la trop grande confiance du père en un péril pour son fils : Il lui ordonna de prendre pour but une pomme placée sur la tête de son ls, qui tiendrait lieu de perche, et de la frapper. Et il menaca l'auteur des vantardises de perdre sa tête s'il ne pouvait pas toucher la pomme au premier tir de flèche. Le célèbre guerrier se voyait contraint de faire une chose à laquelle il ne s'était point engagé. Ses ennemis. pour lui nuire, avaient saisi une parole tombée dans l'ivresse d'un festin, et le roi. prêtant à cette parole un sens qu'elle n'avait pas, força Toko de se signaler par un coup d'essai qui passe pour un chef-d'œuvre. Quoique des malveillants lui eussent dressé des embûches, il conserva cette force d'un qui sait vaincre les obstacles. L'imminence du péril fortia son courage. Ayant donc placé son enfant, l'intrépide guerrier lui recommanda soigneusement de rester immobile lorsqu'il entendrait le sifflement de la èche et, prenant les mesures que dictait la prudence, il lui fit détourner la tête, de crainte qu'il ne s'effrayât à la vue du trait que son père dirigerait contre lui. Puis, prenant trois flèches dans son carquois, il toucha la cible avec la première. S'il avait eu le malheur de blesser son ls, il aurait expié par le supplice l'erreur du trait fatal. Je ne sais ce que fadmirerai le plus du courage du père ou de la docilité de l'enfant. Si le père dut à son adresse la conservation de sa propre vie et le salut de son enfant, celui-ci, par sa patiente soumission, affermit l'âme et sauva l'honneur de son père, le roi ayant demandé à Toko ce qu'il prétendait faire des deux autres èches, puisqu'il ne pouvait éprouver la fortune qu'une seule fois, I'adroit archer lui répondit : 'Elles t'étaient destinées si je n'avais pas touché le but. Plutôt que de subir un supplice non mérité, je me serais vengé de la violence que tu as exercée envers moi'. (La version rapportée par Albert Crantz dit : "... Si mon bras m'avait trahi, la seconde flèche aurait percé ton coeur, et la troisième l'audacieux qui eût osé faire un pas.") Par cette réponse hardie, Toko fit entendre que son courage était un titre à l'estime des hommes, et que l'ordre du roi méritait un châtiment sévère. Toko s'était à peine tiré de cette situation dangereuse, qu'il s'exposa à un nouveau péril. Harald ayant prétendu qu'il était fort habile à glisser avec des patins, Toko dit que dans cet art il ne le céderait pas au roi. Harald obligea aussitôt son rival à donner une preuve de son talent sur le rocher Kolla (Kuldgnibe) en Scanie..."
Pour se venger, Palnatoke poussera plus tard Sven à la barbe fourchue, le fils du roi, à se révolter contre son père.

En Norvège, dans la saga d'Olaf Tryggvesön; chap.235, on disait aussi que le roi Olaf Tryggvesön (995 - 1000) avait défié le champion paien Endride Ilbreid (Eindrithi Pansa) pour le forcer à se convertir. Ils avaient commencé par s'affronter dans une épreuve de natation, ensuite il avait été décidé qu'on tirerait sur une cible placée sur la tête du fils d'Endride :
"... Le lendemain, le roi proposa un nouveau défi à Endride. Il s'agissait de voir qui des deux était l'archer le plus adroit. - 'Monseigneur, dit Endride, il me semble que l'expérience de la veille devrait vous suffire. A quoi bon m'engager dans une entreprise hasardeuse qui m'offre encore moins de chance de succès que la première ?' - 'Je voudrais qu'il en fût ainsi, reprit le roi. Il m'importe que tu tires de l'arc avec moi, et que tu t'avoues vaincu (...) Qu'on amène ici l'aimable enfant sur lequel disais-tu naguère, tu concentres toutes tes affections; qu'il nous serve de but. à la distance que je fixerai'. On amena l'enfant. Le roi le fit lier à un pieu, et ayant demandé une €gure d'un jeu d'échecs (ou une tablette d'écriture, selon une autre version), il la lit placer sur la tête de l'enfant. 'Nous allons, dit-il à son adversaire, essayer d'abattre cette figure du sommet de la tête du jeune garçon sans le blesser'. - 'Tirez si tel est votre bon plaisir, répondit Endride, mais si vous blessez l'enfant, je le vengerai'. Le roi fit mettre autour du front de l'enfant un mouchoir, dont deux hommes devaient tenir les deux extrémités pour l'empêcher de se mouvoir lorsqu'il entendrait le sifllement de la èche , puis il se plaça au lieu d'où il voulait tirer, se signa, et bénit la pointe de la èche avant de la décocher. La rougeur se répandit sur le visage d'Eudride. Le trait vola sous la pièce et l'enleva; mais il avait effleuré la peau de la tête, qui saigna abondamment. Alors Olaf invita Endride à tirer à son tour, mais la mère et la sœur d'Endride vinrent et le prièrent, en versant des larmes, de renoncer à une entrepris si téméraire."
Les Vikings semblent avoir apporté avec eux ces légendes lors de leur conquète de l'Angleterre. En effet, la ballade anglaise d'Adam Bell, imprimée en 1505 par Wynkyn de Worde, comporte également des éléments rappelant l'histoire de Guillaume Tell. Dans cette ballade, on voit Adam Bell se réfugier dans une forêt avec ses compagnons Guillaume de Cloudeslee (William of Cloudsley) et Clym de Clough. Et dans un passage, Guillaume de Cloudeslee, pour frimer devant le roi, décide de tirer à 120 pas sur une pomme placée sur la tête de son fils de sept ans :
"-'Tu es le meilleur archer que j'aie jamais vu', dit le roi étonné. - 'Pour plaire à mon Seigneur, dit Guillaume. je ferai un coup plus surprenant. J'ai un fils âgé de sept ans: j'aime ce fils avec tendresse. Je le lierai à un pieu, en présence de tout le monde, je poserai une pomme sur sa tête, et à la distance de cent-vingt pas je partagerai la pomme avec une èche sans blesser l’enfant'. -'Je te prends au mot, dit le roi; mais si tu la manques, tu seras pendu. Si tu touches la tête ou le corps de l'enfant, je jure par tous les saints du paradis que vous serez pendus tous les trois'. - 'Ce que j'ai promis, répliqua Guillaume, je le tiendrai'. Il planta un pieu en terre, y lia son fils aîné auquel il recommanda la plus grande immobilité, et lui ayant fait détourner la tête, il y posa la pomme. Après avoir pris ces précautions, Guillaume se plaça à la distance de cent-vingt pas, tendit son arc, pria les personnes présentes d'observer le silence, et décocha le trait, qui traversa la pomme sans toucher l'enfant. - 'Dieu me préserve de jamais te servir de but !' s'écria le roi."
Ce texte pourrait bien avoir inspiré l'histoire de "Robin des bois et le moine " ainsi que la scène du tir dans l' "Ivanhoé" de Walter Scott.

Ce type de légendes s'est également infiltré vers le sud, en direction de l'Allemagne (et de la Suisse).
Ainsi, dans le "Malleus Maleficarum (Marteau aux Sorcières) 2.16", publié par Heinrich Kramer à Strasbourg en 1486 et imprimé à Nuremberg en 1494, on raconte une histoire semblable à propos de Puncler (Punker / Puncker / Puncher). Estimant que son habilité à l'arc était diabolique, un prince du Rhin le força à abattre un denier placée sur la tête de son jeune fils :
" 'Je le ferai, dit le sorcier, mais difficilement : J'aimerais mieux m'en dispenser , de crainte que, trompé par le Diable, je ne sois l'auteur de ma mort'. On lui avait donné à entendre qu'il y allait de sa vie. Toutefois, vivement pressé par le prince, il cacha une èche dans son pourpoint, en mit une autre sur son arbalète, et enleva le denier sans blesser l'enfant. Le prince ayant demandé ce qu'il prétendait faire de la seconde èche : 'Je vous en aurais frappé pour venger ma mort, dit Puncler, si le Diable eût dirigé le premier trait contre mon enfant'."

Il est d'ailleurs probable que ce soit des Suédois qui aient apporté cette légende en Suisse. En effet, le "Livre blanc de Sarnen"raconte que des réfugiés suédois seraient venus s'installer dans ce pays. Il est même possible que le nom du canton de Schwytz (qui a donné son nom à la Suisse) dérive du mot "Suède" ("Suecia", en latin, désignant à la fois Schwytz et la Suède).

De tous ces éléments, on peut donc déduire que la légende de l'archer qui tire une flèche posée sur la tête de son fils est originaire de Scandinavie.

Cependant on retrouve des mythes semblables, plus ou moins déformés, chez d'autres peuples situés bien plus à l'est.

Ainsi, le grand ethnologue Castrén a observé le même type de légende, vers 1838-1844, chez les Finnois de Carélie. On y voit un fils obligé de tirer sur une pomme placée sur la tête de son père prisonnier afin de gagner la libération de celui-ci.

En 1875, J.Grimm aurait vu un manuscrit, en Turquie, portant une illustration représentant un archer tirant sur une pomme posée sur la tête d'un enfant.

En Perse, au XIIème siècle, le poète persan Farid Uddin Attar (Farid Al-Din Attar) a également écrit un texte où l'on voit un prince tirer une flêche dans une pomme placée sur la tête d'un page bien-aimé.

Le Docteur Dasent aurait retrouvé des récits semblables chez les Turcs, les Mongols et les Samoyèdes.

Il existerait peut-être aussi des traces de récits du même type en Inde.

Il est difficile de savoir si cette légende s'est propagée d'ouest en est, de Scandinavie vers l'Asie, ou d'est en ouest, de l'Asie vers la Scandinavie. Peut-être est-elle bien plus ancienne qu'on ne le croyait ?