La
"source Q" :
Les convergences et les divergences constatées entre les trois
évangiles synoptiques constituent un cas unique dans la littérature.
Depuis la fin du XVIIIe siècle, de très nombreuses théories
ont été proposées pour expliquer ces faits.
Selon la théorie courante Luc, en écrivant, a recopié des
parties du texte de Marc (c'est ce qu'on appelle les "sections
marciennes"). Ex : Luc 4,31 - 6,19 ; 8,4 - 9,50 ; 18,15
- 21,38. Mais l'existence des nombreuses passages ressemblants
entre les textes de Matthieu et Luc, et qui ne ressemblent
pas à Marc, pose un problème puisque Luc et
Matthieu ne se connaissaient pas.
La solution généralement acceptée (Schmid 1930, Vaganay 1954)
est que les deux évangélistes sont mutuellement indépendants
et leurs accords proviennent d'une source commune. En effet,
si Matthieu et Luc ne se sont pas connus, ils ont du nécessairement
puiser dans un texte commun inconnu pour tous les éléments
absents chez Marc mais présents chez eux. Et on donne le nom
de "Source Q" a ce texte mystérieux.
Cette "Source Q" doit son nom à la première
lettre du mot allemand Quelle ("source"). Il fut donné par
Weiss en 1838 , par Holtzmann en 1863 et par Wernle en1899,
au texte hypothétique constitué des textes communs de Matthieu
et Luc qui ne proviennent pas de Marc.
La reconstitution de ce document hypothétique doit être envisagée
avec prudence mais elle posséderait les caractéristiques suivantes
:
Il s'agirait d'un document écrit en grec, son étendue connue
couvrant 220 à 235 versets environ. Il se constituerait essentiellement
d'une collection de logias (paroles et paraboles de Jésus)
avec peu de récits. Un peu comme l'Évangile
selon Thomas découvert en 1946 à Nag Hammadi en Haute
Egypte).
Comme le précise Jean-Daniel Kaestli : "Quand on tombe
sur des citations de paroles de Jésus dans des textes du IIe
siècle, par exemple chez Justin, on s'aperçoit que certaines
paroles ne correspondent pas à la forme canonique du Nouveau
Testament. En fait, ces textes ne citent pas les évangiles,
mais des sources parallèles comme la Source Q ou la tradition
orale".
Le Colloquium Biblicum Lovaniense, consacré à la recherche
sur la source Q en relation avec la question du Jésus historique,
s'est tenu du 25 au 27 juillet 2000. Comme l’écrit J.M. Robinson
, la publication de l’édition critique de Q confère désormais
à la source des dits une existence documentaire et littéraire,
et ne permet plus de la considérer comme une reconstruction
purement hypothétique.
L'analyse de cette source Q lui attribue une origine galiléenne
et des contenus judaïsant fort différents des autres écrits
du Nouveau Testament.
La réalisation du royaume Dieu y est ainsi plus importante
que la croyance ou la piété. La mort de Jésus scelle son identité
de prophète. Et la source Q ignore totalement sa résurrection
tout comme elle ignore toute idée de hiérarchie ou d'église.
Cette source Q est divisée, trés hypothétiquement,
en trois couches rédactionnelles et pourrait être présentée
de la manière suivante :
- Q1 (vers 50 ap.JC ?) : Jésus présenté comme un enseignant,
un simple maître de sagesse, une sorte de philosophe populaire
itinérant sans prétention messianique ("christologie basse").
Son seul geste thaumaturgique aurait été la guérison à distance
du serviteur d'un centurion (Mt 8,5-13 = Lc 7,1-10).
- Q2 (vers 60-70 ap.JC ?) : Jésus décrit comme un prophète
apocalyptique. Annonce de la proximité du Règne de Dieu et
du jugement.
- Q3 (vers 75 ap.JC ?) : Quelques paroles présentant les disciples
de Jésus en retrait du monde et Jésus conversant avec Dieu.
Quelques éléments narratifs, comme la tentation, auraient
également été ajoutés.
Parallèlement, dans l'évangile de Marc, Jésus est présenté
comme un être divin, semblable aux héros de la mythologie
et auquel on attribue de nombreux miracles. Cette conception
aurait ensuite influencé Matthieu et Luc.
Le dernier évangile, celui de Jean à la fin du Ier siècle,
présentera Jésus comme un être céleste préexistant, venu du
ciel et y retournant ("christologie haute").
En se basant essentiellement sur l'étude de la Source Q1,
des auteurs comme John Dominic Crossan et Geird Theissen présentent
le Jésus historique comme un sage et révolutionnaire du changement
social. Ils insistent pour dire que Jésus appelait ses contemporains
à construire une société radicalement égalitaire pour tous
(hommes et femmes, pur et impur, etc.). Jésus aurait été un
prédicateur itinérant appelant ses contemporains à agir pour
construire le Royaume de Dieu sur terre.
Q1 nous présente un Jésus mangeant avec les pauvres, les opprimés
et les paysans exploités de Galilé. Jésus guérit, soigne et
expulse les démons. Un Jésus nous invitant à ne pas juger
les autres et annonçant la nécessité de construire un monde
conforme à la vision Divine. Jésus aurait été anti-nationaliste,
anti-colonialiste, anti-patriarcal, anti-discrimination, anti-racisme,
etc...
Le plus intéressant concernant cette analyse consiste en ce
que plusieurs enseignements dits chrétiens n'auraient pas
été énoncés par Jésus où les premiers chrétiens. En effet,
dans Q1 on ne retrouve rien concernant :
L'adultère, les anges, les apôtres, le baptême, l'église,
le clergé, la confirmation, la crucifiction, les démons, les
disciples, le divorce, l'eucharistie, la demande de convertir
le monde, le ciel, l'enfer, l'incarnation, Marie et Joseph
et le reste de la famille de Jésus, les évangiles de l'enfance,
les lois juives concernant le comportement, la résurrection,
le messie, les restrictions concernant la sexualité, le rôle
des hommes et des femmes, la résurrection, le Sabbath, le
salut, Satan, la seconde venue du Christ, les signes des temps,
le péché, le parler en langue, le temple, le tombeau de Jésus,
la transfiguration, le procès de Jésus, la Trinité, la divinité
de Jésus, le titre de Christ et la naissance virginale de
Jésus.
Tous ces dogmes ne seraient que des enseignements tardifs
n'appartenant pas aux communautés chrétiennes primitives.
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