Jésus
et les Nazaréens :
On pense souvent que "Jésus le Nazaréen "signifie
"Jésus de Nazareth". Mais ce n'est la qu'une interpolation
: Le village de Nazareth n'existait probablement pas à cette
époque (L'évangile de Luc -IV, 29 dit que Nazareth est située
sur une colline. Or la ville de Nazareth actuelle a été bâtie
non sur une colline, mais dans une vallée, au pied d'un cercle
de petites collines). Aucun auteur du Ier siècle, juifs y
compris, ne mentionne le nom de la bourgade.
Jésus n'était pas du tout de Nazareth
!
L'adjectif nazaréen entendu comme "homme du village de Nazareth"
résulte d'une erreur de traduction de compilateurs tardifs.
"De Nazareth" ou "nazaréthain" se traduit en grec par Nazarethenos,
Nazarethanos, ou Nazarethaios et non par Nadzarenos, Nadzôraios,
Nadzôrenos ni même Nadzarénos comme on le trouve dans les
Évangiles (= "Nazaréen"). Nazareth / Nazara s'écrivait en
hébreu avec un Tsadé (qui est rendu en français par un Z),
et en grec par un Sigma et non par un Dzéta.
Le nom "Nazaréen" ou "Naziréen" vient de l'hébreu "nazir"
(avec un Zaïn), devenu en grec "Nadzaraois" (avec un Dzéta)
et désigne un homme "saint" ou "consacré", voué au service
de dieu. L'ancien testament indique les règles que devaient
suivre ceux qui faisaient voeux de naziréat : ils ne devaient
pas boire d'alcool, ne pas se couper les cheveux et ne pas
s'approcher d'un cadavre, (Juges. 13 et Nombres. 6).
Jésus était donc un Nazaréen consacré à Dieu (Le mot grec
"Khrestos / Christ" veut également dire "Oint" ou "Consacré")
et il avait repris ce terme pour nommer le groupe de ses disciples
: c'était la secte des Nazaréens.
Il est possible cependant que Jésus n'ait pas été
le fondateur de cette secte mais n'ai fait que prendre la
tête d'un groupe pré-existant.
En effet, se basant sur des écrits de Marcus Agrippa
(63-12 av.JC), Pline l'ancien (23-79 ap.JC) écrit dans
le livre 5 de ses "Histoires Naturelles" qu'il y
avait des Nazôréens en Syrie occidentale, vers Apamée,
avant JC (il parle d'une "tétrarchie des Nazériniens").
Hippolyte, au 3ème siècle ap JC, dans sa "Réfutation
de toutes les hérésies 29, 6", disait que
"l’hérésie
nazaréenne existait avant le Christ et ne le connaissait
pas."
Et Épiphane disait au 4ème siècle ap JC, dans le "Contre
les hérésies" : "Il
y eut des Nazaréens avant le Christ et le Christ n’en
a pas eu connaissance".
On pense souvent que Jésus était lié aux Esséniens de Qumran (dont faisait probablement partie Jean-Baptiste)
hors, parmi les termes utilisés par les scribes de Qumran
pour désigner les membres de la communauté, on trouve très
souvent celui de "gardiens de l'Alliance", en hébreu "NOZREI
HA-BRITT", d'ou viendrait "NOZRIM" / "NAZARÉENS". Donc les
deux sectes semblaient liées.
Pour les Arabes musulmans, par exemple, les Chrétiens étaient
désignés par le terme "Nasârâs" et, chez les Juifs, par le
mot "Nozaris" dans le Talmud.
Selon Tertullien (160-220), le terme "Nazôraios" était utilisé dans les milieux juifs pour désigner les premiers Chrétiens :
"Les Juifs désignent les Chrétiens par le nom de Nazoréens."
Épiphane de Salamine (315-403 ap.JC) disait également :
"Mais à cette époque, tous les chrétiens s'appelaient Nazoréens [...] avant que les disciples commencent à les appeler Chrétiens à Antioche."
Agobard, évêque de Lyon au IXe siècle, écrivait : "Dans
toutes leurs prières, les juifs maudissent chaque jour sous
le nom de Nazaréens notre Seigneur Jésus-Christ et les Chrétiens".
A notre époque l'église chrétienne syriaque se nomme toujours nazoréenne et les chrétiens du Kerala en Inde se nomment Nasranis.
Les disciples de Jésus étaient tous d'origine juive et n'avaient
pas rompu leurs attaches avec le judaïsme. Ainsi, le livre
des Actes des Apôtres nous montre à plusieurs reprises les
premiers Chrétiens fréquenter le Temple de Jérusalem et les synagogues.
Ces premiers Chrétiens étaient encore appelés "Nazaréens" ou "Nazoréens" et
continuaient
à pratiquer la Torah. Circoncision, interdits alimentaires,
sabbats faisaient partie du patrimoine commun des Nazoréens
et des autres Juifs. Tout ce qui distinguait le nouveau mouvement,
c'était sa croyance que le Messie était déjà venu.
Tout fut remis en cause par l'arrivée de Paul. Pourtant, dans Actes 24.5, Ananias, le grand prêtre Sadducéen, accusait encore Paul par d'être le chef des Nazoréens, mot qui ne se distingait alors pas de "Chrétiens" :
"Nous nous sommes aperçus que cet homme est un personnage extrêmement nuisible : en tant que chef du parti des Nazoréens, il provoque du désordre chez tous les juifs du monde."
Si les dirigeants
de la communauté nazaréenne de Jérusalem (Jacques, frère de
Jésus, et les apôtres) voyaient Paul avec un mélange
de sympathie et de scepticisme, certains commencèrent à s'inquiéter
sérieusement quand on apprit que, non content de constituer
des communautés composées principalement d'anciens païens,
il ne leur demandait rien d'autre que la conversion intérieure
et le baptême. Les opposants à Paul estimaient que la conversion
au Messie étant une conversion à une forme de judaïsme, il
fallait exiger la circoncision et l'observation intégrale
de la Torah.
C'est en l'an 49 qu'eut alors lieu ce qu'on appela depuis
le "Concile de Jérusalem", dont le récit figure
au quinzième chapitre du livre des Actes des Apôtres : Jacques
et les apôtres proposèrent un modus vivendi dont la teneur
est à peu près la suivante : Paul garderait toute liberté
d'évangéliser les non-juifs sans leur demander la circoncision
et les autres observances de la Torah. Pendant ce temps, Jacques
présiderait aux destinées de l'autre groupe, celui des nazaréens
d'origine juive, qui continuerait à pratiquer la Torah pour
marquer son lien avec le judaïsme palestinien ambiant.
On connaît la suite de l'histoire : l'expansion rapide du
mouvement "chrétien" autour du bassin méditerranéen,
sous la houlette de Paul. Malgré des rapports qu'il dit fraternels
avec Jacques, Paul a sujet dans ses épîtres de se plaindre
de Nazaréens provenant "de chez Jacques" et qui
continuaient de polémiquer avec lui.
A terme, on aboutira à un renversement de la situation. L'Église
primitive des Nazaréens s'effondrera vers 70 et le pagano-christianisme
paulinien entamera sa destinée triomphale : triomphe de Paul
sur ses adversaires, les premiers apôtres de Galilée. Paul
n'avait pas de scrupules à dépouiller d'autres Eglises (II
Corinthiens XI, 8). "Sans
effusion de sang, il n'y a pas de pardon",
prétend-il. C'est pourquoi il envoie ses ennemis à Satan (I
Corinthiens V, 5 et I Timothée I, 20).
C'est Paul qui est véritablement le fondateur du christianisme,
car c'est lui qui propagea le culte d'un dieu qu'il appelait
Chrîstos (ce qui veut dire le Bon, le Secourable, le Compatissant)
et c'est du nom de ce dieu que Paul et ses partisans tirèrent
leur nom de "chrétiens". Il proclamait que ledit Jésus-Christ
réunissait en lui les deux natures, humaine et divine. (Cette
doctrine s'apparentait étroitement à d'autres religions de
salut qui avaient cours à cette époque). Inutile de dire que
pareille doctrine était totalement étrangère aux premiers
Nazaréens... qui seront en conséquence déclarés "hérétiques".
Après la lapidation de Jacques en 62, la communauté
nazaréenne de Jérusalem était dirigée par Syméon
(mort crucifié en 107), un cousin de Jésus selon
Eusèbe de Césarée dans son "Histoire ecclésiastique"
:
"... Hégésippe
expose aussi les débuts des hérésies
de son temps, en ces termes : 'Après Jacques le Juste,
qui subit le martyre comme le Seigneur, pour la même
doctrine, Siméon, fils de Clopas (Cléopas =
Qalyopa = "L'épicier"), oncle du Christ,
fut établi second évêque de Jérusalem
; tous le préférèrent parce qu'il était
cousin de Jésus'…"
(Histoire ecclésiastique 4; 22)
"Après
le martyre de Jacques (vers 62) et la destruction de Jérusalem
qui arriva en ce temps, on raconte que ceux des apôtres
et des disciples du Seigneur qui étaient encore en
ce monde vinrent de partout et se réunirent en un même
lieu avec les parents du Sauveur selon la chair (dont la plupart
existaient à cette époque). Ils tinrent conseil
tous ensemble pour examiner qui serait jugé digne de
la succession de Jacques, et ils décidèrent
à l'unanimité que Siméon, fils de ce
Clopas dont parle l'Évangile, était capable
d'occuper le siège de cette église : il était,
dit-on, cousin du Sauveur : Hégésippe raconte
en effet que Clopas était le frère de Joseph."
(Histoire ecclésiastique 3, 11)
Pendant la révolte juive
de Menahem (le "consolateur") en 66-67, la communauté nazaréenne
reçut par révélation l'ordre de quitter Jérusalem. Elle chercha
alors refuge en Basanitide dans la région de Kokba au sud-ouest
de Damas et à Pella en Décapole.
Cette migration fut décrite par Eusèbe de Césarée :
"Le peuple de l'Eglise
de Jérusalem reçut, grâce à une
prophétie transmise par révélation aux
notables de l'endroit, l'ordre de quitter la ville avant la
guerre et d'habiter une ville de Pérée, nommée
Pella. Ce fut là que se transportèrent les fidèles
du Christ, après être sortis de Jérusalem,
de telle sorte que les hommes saints abandonnèrent
complètement la métropole royale des Juifs et
toute la terre de Judée."
(Histoire ecclésiastique 3; 5,3)
Epiphane en parle également dans son
"Traité des poids et mesures 15" :
"Quand la ville fut sur le point
d'être prise par les Romains (vers 69-70), tous les
disciples furent avertis d'avance par un ange de quitter la
ville destinée à être totalement détruite.
Ils s'établirent à Pella, une ville de la Décapole,
de l'autre côté du Jourdain. Aprés la
destruction de Jérusalem ils retournèrent, comme
je l'ai dit, et accomplirent de grands signes."
Là, la communauté
se mèla aux Baptistes Esséniens qui avaient fait de la Pérée (la Transjordanie de nos jours)
leur terre d'élection aprés la destruction de leur centre
de Qmran par les romains en 68.
Vers 70 Pline localise des Nazerimis dans le nord de la Syrie.
Mais d'autres continuent encore à vivre en Judée.
Vers 80-90, les juifs commencent à les considérer comme des
hérétiques. Gamaliel II (patriarche de Yabneh de 80 à 116),
fait créer contre eux la prière "Birkat ha-minim" (malédiction
contre les hérétiques) et commence à les chasser des synagogues.
Le Talmud de Babylone, Berakhot 28b-29a, le rapporte :
"Siméon ha-Pakkouli mit
en ordre dix-huit bénédictions devant Rabbi Gamaliel II à
Yabneh. Rabbi Gamaliel II leurs dit :'Y a-t-il quelqu’un qui
saurait composer la Birkat ha-minim ?' Samuel ha-Qatan (le
petit) se leva et la composa."
Même l’Evangile selon Jean 9;22 parle de ce rejet :
"... si quelqu’un reconnaissait Jésus pour le Christ, il serait
exclu de la synagogue".
Voici le texte de ce "Birkat ha-minim" :
"Qu’il n’y ait pas d’espérance
pour les apostats ; que soit déraciné de nos jours le royaume
de l’orgueil ; et que périssent en un instant les Nozrims
(Nazaréens) et les Minims (hérétiques) : qu’ils soient effacés
du livre des vivants, et qu’ils ne soient pas inscrits avec
les justes. Béni sois-tu Yahvé qui plie les orgueilleux ."
En 98 le sanhédrin de Yabneh (Jammia) fonde le judaisme rabbinique,
ce qui sépare encore plus la branche juive de la branche nazaréenne.
En 132-135, les Nazaréens refusent de participer à la révolte
anti-romaine de Bar Kochba, ce qui les fait rejeter encore
plus par les Juifs rabbinistes.
Epiphane de Salamine (367 - 404) en parle dans le Panarion
29, 9, 2 :
"Cependant ils sont très
haïs par les juifs. Car, non seulement les enfants juifs nourrissent
de la haine contre eux, mais le peuple aussi se lève le matin,
à midi et le soir, trois fois par jour, et ils prononcent
des injures et des malédictions sur eux en disant leurs prières
dans les synagogues. Trois fois par jour, ils anathématisent
en disant 'Que Dieu maudisse les nazoréens'."
Dans la panarion 29.29, Epiphane ajouté :
"La profession de foi (des
Nazaréens) est bien celle des Juifs en tout, sauf qu’ils prétendent
croire au Christ. Chez eux, en effet, on professe qu’il y
a une résurrection des morts et tout vient de Dieu ; ils proclament
aussi un seul Dieu et son Serviteur Jésus-Christ."
Et Saint Augustin (354-430)
dit ceci dans "Des hérésies" :
"Tout en reconnaissant
que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, les Nazaréens
accomplissaient scrupuleusement les prescriptions de l'ancienne
Loi, dont les chrétiens ont appris , à l'école
des Apôtres, à comprendre le sens spirituel,
et à délaisser l'observance charnelle."
Jérôme en parle aussi vers 404, :
"Jusqu’aujourd’hui, dans
toutes les synagogues de l’Orient, il y a chez les juifs une
secte qu’on appelle des Minims (hérétiques) qui est jusqu’ici
condamnée par les pharisiens ; qu’on appelle communément Nazaréens
; ils croient au Christ, fils de Dieu, né de la Vierge Marie,
et ils disent que c’est celui qui, sous Ponce Pilate, et a
souffert et est ressuscité ; en lui nous aussi nous croyons
; mais, tandis qu’ils veulent en même temps être juifs et
chrétiens, ils ne sont ni Juifs ni Chrétiens."
Les données fournies par Eusèbe de Césarée, Épiphane et Saint
Jérôme font état de sectes nazaréennes (les "hérétiques Nasaraioi")
réfugiées en Syrie et en Jordanie qui, outre qu'elles reconnaissent
en Jésus le Messie, continuent de pratiquer la circoncision
et les autres commandements de la Torah. Pour ces nazaréens,
Jésus était un grand prophète, il était le Messie annoncé
par les Écritures, mais il n'était qu'un homme. IIs avaient
Paul et ses écrits en exécration et ne manquaient pas une
occasion de l'anathématiser comme le pire imposteur de l'histoire
de l'humanité.
Epiphane (367 - 404) citait ces Nasaraeans (Nazaréens)
avec les Osséens (Esséniens) parmi les diverses sectes juives
qui s'étaient refugiées en Nabatène, Iturée,
Moab et dans le pays autour d'Areopolis, régions se trouvant
au-dela de la Mer Morte
Epiphane distingait d'ailleurs les Nasaraéens juifs (Nasaraioi)
des Nazoréeans chrétiens (Nazoraioi) :
"Ils (les Nazoréeans chrétiens)
ne se sont pas appelés Nasaréens ; la secte des Nasaraéens
était d'avant le Christ et n'a pas connu le Christ... Quand
aux Nasaréens, ils étaient des juifs par la nationalité...
Moïse, selon eux, n'a pas écrit le Pentateuque... Moïse était
reconnu par eux et ils croyaient qu'il avait reçu les lois
de Dieu. Non les 10 commandements, cependant, mais une autre
lois qui a été ensuite falsifiée... Ils ont accepté d'autres
écritures en plus de la loi, bien qu'ils aient rejeté la plupart
des prophètes qui sont venus après"
Des Nazaréens s'étaient aussi installés en Perse. L'inscription
de Kaftir, à Naqsh-I-Rustam, mentionne les différents sectes
religieuses qui ont fait face à la persécution pendant les
premières années du règne de Shapur (241 à 272) :
"... des jahoudys (Juifs), des samanys (shamanes ou moines bouddhistes) ...
des bramanys (brahmanes).... des natcharays (ou nazorayes = nazaréens), des
krystydans (ou kristiyanes = chrétiens)... des maktakys (maktaks ?)... et des zandikys (zandiks / manichéens ?)
ont été conduits dehors."
Les croyances des Nazaréens semblent avoir également influencé Paul de Samosate qui niait la divinité du Christ et en faisait seulement un homme par l'intermédiaire duquel Dieu avait parlé. A Antioche ses partisans étaient appelés les "Paulianistes". Il fut condamné par le concile de 269.
Eusèbe 27;2 décrivait ainsi sa croyance : "Jésus aurait été par nature un homme ordinaire."
Et Filastre de Brescia expliquait ceci : "Il présentait le Christ non comme vrai Dieu, mais comme un homme juste, et il enseignait la circoncision ; il enseigna même à la reine Zénobie à judaïser".
Cette Zénobie était une reine du royaume de Palmyre (267-272 ap.JC) qui s'était opposée quelques temps à Rome.
Il existait une autre branche des Nazaréens : les Ébionites,
plus ou moins mélés d'Esséniens.C'étaient des végétariens aux moeurs austères établis en Transjordanie,
qui appelaient leurs prêtres des "Nazaréens".
Mais ils niaient la divinité de Jésus Christ et utilisaient
l'" évangile des Ébionites" (connu par des citations
d’Epiphane vers 315-403 ap.JC.). Un autre de leurs écrits,
rédigé en hébreu ou en araméen, est cité par Jérômede Stridon : "l'évangile
des Nazaréens", utilisé en Syrie.
Ce livre était peut-être le même que l'"Évangile des Hébreux" écrit par Mathieu en araméen selon Jérôme :
"Il fut le premier en Judée qui mit par écrit l'Évangile de notre seigneur Jésus-Christ, et il le rédigea en hébreu à l'usage des juifs convertis."
Et selon Jérôme ce livre était utilisé par les Nazoréens :
"L'Évangile selon les Hébreux, rédigé en langue chaldéenne et syrienne, mais en caractères hébraïques, dont les Nazoréens font encore usage aujourd'hui, c'est-à-dire l'Évangile selon Saint-Mathieu qui se trouve à Césarée."
Et Papias rapporte que le presbytre Jean disait ceci :
"Matthieu réunit donc en langue hébraïque les sentences et chacun les interpréta comme il en était capable."
Le mot "Ébionite" vient de l’hébreu “ebion”, qui signifie
"pauvre". Le groupe est mentionné par Irénée ("Contre
les hérésies", 1, 26, 2) et par Origène
("Contre Celse" 11, 1). Outre le bain rituel quotidien,
ils avaient une immersion spéciale (c'étaient donc des baptistes
comme les Esséniens).
Ils niaient la naissance virginale de Jésus ainsi que son
appartenance à une trinité. Ils rejettaient également son
aspect salvateur : pour eux, la mission de Jésus était seulement
d’enseigner. Il n’avait pas voulu supprimer la Loi ; cette
suppression étant l’œuvre de Paul,
leur grand adversaire. Ils prétendaient défendre la vraie
pensée de Jésus contre la déformation que le paulinisme lui
avait fait subir.
Eusèbe de Césarée, dans son "Histoire ecclésiastique III; 17", les décrivait ainsi :
"… on appela à juste titre ces hommes Ébionites, parce qu'ils avaient sur le Christ des pensées pauvres et humbles. Ils le regardaient en effet comme simple et commun, comme un pur homme justifié par le progrès de sa vertu, né du rapprochement d'un homme et de Marie. Il leur fallait absolument observer la Loi (de Moïse) parce que, disaient-ils, ils ne seraient pas sauvés par la seule foi dans le Christ et par la vie conforme à cette foi. (…) ils mettaient tout leur zèle à accomplir soigneusement les prescriptions charnelles de la Loi. Ils pensaient qu'il fallait complètement rejeter les Épîtres de l'Apôtre (Paul), qu'ils appelaient un apostat de la Loi; ils se servaient uniquement de l'Évangile appelé selon les Hébreux et tenaient peu de compte des autres. Ils gardaient le sabbat et observaient le reste de la conduite juive, semblablement à eux, mais ils célébraient les dimanches à peu près comme nous, en souvenir de la résurrection du Sauveur. Par suite d'une telle attitude, ils ont reçu le nom d'Ébionites, qui met en relief la pauvreté de leur intelligence : car tel est le mot par lequel les pauvres sont appelés chez les Hébreux."
Anne de Jérusalem distinguait les "Ebionites proprement dits",
"purs" ou "pharisaïques", des "Ebionites Esséniens".
Ces "Ebionites Esséniens" sont probablement nés de la fusion
des Nazaréens avec les derniers Esséniens de Jean Baptiste.
Origène observait à leurs propos (en citant le Codex Nazareus,
vol.II, p.109) : "Il y en a
qui disent de Jean le Baptiste était l'Oint (Christ). Lorsque
les conceptions des Gnostiques, qui voyaient en Jésus le Logos
et l'Oint, commencèrent à gagner du terrain, les premiers
Chrétiens se séparèrent des Nazaréens, lesquels accusaient
injustement l'Hiérophante Jésus de pervertir les Doctrines
de Jean et de changer pour un autre le Baptême dans le Jourdain".
Et il précisait, en citant le Codex Nazareus, vol.II, p.150
: "Leur croyance était que Jésus
n'était pas le fils de Dieu, mais simplement un prophète qui
voulait suivre Jean ".
Epiphane confirmait la fusion des Nazaréens avec les
Esséniens : "Seuls quelque
rares Nazoréens doivent toujours exister en Egypte supérieure
et au delà de l'Arabie, mais le reste des Osséens (Esséniens),
qui demeuraient au-dessus de la mer morte et de l'autre côté
avec les Sampsaeans se sont associés aux Ebionites."
Les "Homélies pseudo-clémentines" qui nous sont parvenues décrivent les croyances des Nazaréens, des Ebionites ou d'un groupe apparenté.
L'"Homélies 16,13, 2" réfute la divinité de Jésus :
"Apprenez aussi ceci : Les corps des hommes ont une âme immortelle revêtue du souffle de Dieu; et étant sorties de Dieu, elles en ont la même substance, mais elles ne sont pas des dieux. Mais si elles étaient des dieux, les âmes de tous les hommes, ceux qui sont morts et ceux qui sont vivants, et ceux qui doivent exister, seraient donc des dieux. Mais si, dans un esprit de controverse, vous maintenez que ce sont aussi des dieux, quelle importance a-t-il alors, que Christ soit appelé Dieu? Car il n'a que ce que tous ont."
L'"Homélie 3, 20" indique qu'ils croyaient que le Christ était une entité angélique qui s'était incarnée dans plusieurs prophètes au cours des siècles, Jésus étant le dernier :
"Il (le Christ) devrait dire que lui seul l'a (le Saint Esprit), lui qui a changé ses formes et ses noms depuis le début du monde, et est ainsi réapparu encore et encore dans le monde, jusqu'à ce qu'il parvienne à son époque et qu'il soit oint de miséricorde pour les œuvres de Dieu, et alors il jouira du repos pour toujours. Son honneur est de régner et de régner sur tout, dans l'air, la terre et les eaux."
Par contre les Homélies ne tenaient pas Jean Baptiste pour un grand prophète. Il n'était qu'un prophète "lunaire" et "fils de femme" alors que Jésus était un prophète "solaire" et "fils d'homme".
Actuellement, les "Ébionites Esséniens" n'ont pas tous disparu
car ils se sont fondus dans les Mandéens.
Le mandéisme désigne la religion pratiquée par une secte dont
les derniers survivants, quelques milliers, se trouvent actuellement
près des rives du golfe Persique, dans la région de Bassora.
Leur livre sacré, le Haran Gawaita, dit qu'ils sont venus
de Palestine en passant par la Syrie et en remontant l'Euphrate.
La secte mandéenne a été révélée en 1652 par un missionnaire
carme, qui décrivait ses membres sous le nom de "Chrétiens
de saint Jean". Ils désignent eux-mêmes leurs prêtres
du nom de "Nasuraias" ("Nazoréens") et leur doctrine du nom
de Nasaruta ("Nazoréisme"), ce qui révèle leur
fusion avec les Nazaréens.
Selon le Coran, l'oncle de Khadija, femme de Mahomet, aurait
été un Chrétien parlant l'hébreu (un "Nasraniy" plus exactement).
Il est trés probable qu'il était un Nazaréen réfugié
en Arabie. il est trés probable aussi qu'il ait fortement
influencé Mahomet dans son rejet des doctrines de la trinité
et de la divinité de Jésus.
L'interdiction de boire du vin, chez les Musulmans,
provient aussi probablement d'une influence nazaréenne.
En effet les Nazaréens ne buvaient pas de vin, se référant
à cette parole de Jésus :
”Je vous le dis, je ne boirai
plus désormais de ce fruit de la vigne jusqu'au jour
où je le boirai avec vous, nouveau, dans le Royaume
de mon Père." (Matthieu 26,29)
Le Coran, d'ailleurs, à l'origine, semble avoir fait
une différence entre les "Chrétiens classiques"
et les Nazaréens :
Tu trouveras certainement que les Juifs et les associateurs
(= "Chrétiens") sont les ennemis les plus
acharnés des croyants. Et tu trouveras certes que les
plus disposés à aimer les croyants sont ceux
qui disent: 'Nous sommes Nasârâs (Nazaréens)'
C'est qu'il y a parmi eux des prêtres et des moines,
et qu'ils ne s'enflent pas d'orgueil.
Et quand ils entendent ce qui a été descendu
sur le Messager (Mahomet), tu vois leurs yeux déborder
de larmes, parce qu'ils ont reconnu la vérité.
Ils disent: 'Ô notre Seigneur! Nous croyons: inscris-nous
donc parmi ceux qui témoignent'."
(Sourates 5:82-83)
Plus tard, cependant, les Nazaréens ayant disparus
(fondus dans l'Islam), leur nom deviendra un synonyme de "Chrétiens",
comme on le voit dans certains passages rajoutés tardivement
au Coran.
L'Islam, selon cette optique, serait donc
le dernier rejeton du Nazaréisme.
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